La mort, ce jeu méconnu

(Ceci est un texte écrit par moi et paru dans le numéro 2 (décembre 2005) de Charles, journal sans but apparent.)

La période d'inscription est ouverte pour participer à la cinquième édition du Pool Nécroludique. Ce jeu consiste à choisir 23 personnalités publiques qui selon vous pourraient mourir en 2006, et pour chacune finissant effectivement par s'éteindre durant l'année, vous marquez des points de la façon suivante: 100 moins l'âge du défunt égale les points marqués. Un bonus est même offert en cas de suicide.

Bien qu'il apparaisse être le seul pool de la mort francophone présentement fonctionnel sur le web, le Pool Nécroludique est loin d'être une innovation. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, ce type de compétition est devenu une mode virtuelle marginale, avec l'apparition, notamment, de Stiffs.com, qui a probablement établi la base des règles du jeu en ligne. Toutefois, bien avant l'ascension de Bill Gates au rang de Grand Démon, deux étudiants new-yorkais ont créé une compétition amicale à savoir qui de Jack Benny ou George Burns allait mourir en premier. Ils ont par la suite allongé leur liste de prédictions, invité des amis à participer, et voilà qu'en 1971, la Death Game connaissait sa première année complète de compétition. Les règles étaient un peu différentes à l'époque. Les participants choisissaient beaucoup plus de cadavres potentiels, et les points étaient calculés différemment. On y acceptait notamment les animaux célèbres.

Encore là, le jeu n'était qu'un semblant de nouveauté. Le 21 mars 1591, le pape Grégoire 14 interdit tout jeu de hasard pour la durée de son pontificat, ces jeux étant devenus une plaie dans la Curie Romaine, à un point tel que des parieurs un peu extrêmes sont fort probablement responsables de sa mort, quelques dix mois après son couronnement, comme le signale Artaud de Montor dans son livre historique The Lives and Times of the Popes.

Plus tard, le personnage Georges Duroy parlait à Madame Walter, tous deux issus du roman Bel-Ami, de Guy de Maupassant: «Je suis comme vous d'ailleurs et j'aime beaucoup lire dans les échos de Paris le décès d'un académicien. Je me demande tout de suite: "Qui va le remplacer?" Et je fais ma liste. C'est un jeu, un petit jeu très gentil auquel on joue dans tous les salons parisiens à chaque trépas d'immortel: "Le jeu de la mort et des quarante vieillards".» Il faisait référence aux membres de l'Académie Française, tous élus à vie et généralement déjà croulants lors de leur entrée à l'Académie.

D'autres apparitions de jeux similaires ont également fait jaser, notamment dans le film The Dead Pool, de Buddy Van Horne, paru en 1988. L'inspecteur «Dirty» Harry Callahan (Clint Eastwood) devait enquêter sur un pool de la mort où les choix de l'un des participants, Peter Swan, mouraient mystérieusement les uns après les autres. La problématique survint lorsque Harry apprit que son nom se trouvait également sur la liste de Swan.

Tout ceci est sûrement très intéressant, mais le fabuleux monde des jeux de la mort se fait malheureusement discret, de nos jours. La plupart des exemples trouvés en ligne sont tombés en désuétude, et la presque totalité sont en anglais. Il nous reste toutefois le Pool Nécroludique (http://www.poolnecro.qc.ca) pour savourer pleinement et gratuitement l'attente qu'un ou l'autre nos condamnés finisse par clamser.