Le Figaro
Décès de Philippe Jaffré, patron brillant et provocateur
SOPHIE FAY.
Publié le 10 septembre 2007
Actualisé le 10 septembre 2007 : 06h57
L'ancien PDG d'Elf et directeur financier d'Alstom avait 62 ans.
DANS les annales de la place financière de Paris, il restera sans aucun doute comme l'un des patrons les plus dérangeants et les plus provocateurs. Les plus brillants aussi. Philippe Jaffré est décédé mercredi dernier, à 62 ans, terrassé par un cancer, en dépit duquel il n'avait pas vraiment cessé de fumer.
C'est en 1971 que ce non- conformiste commence à se distinguer, en devançant ses prestigieux camarades (Laurent Fabius, Daniel Bouton...) de la promotion Rabelais de l'ÉNA, dont il sortira major. Cette première place lui ouvre les portes du nec plus ultra de la haute administration : l'Inspection des finances et le Trésor. Comme nombre de patrons énarques de cette génération, il découvre à cette occasion les mécanismes de l'entreprise en essayant de sauver des sociétés en difficulté dans le cadre du Comité interministériel pour l'aménagement des structures industrielles (Ciasi). Ironie de l'histoire, c'est aussi en jouant les pompiers pour Alstom qu'il terminera sa carrière.
Ses premiers pas en cabinet ministériel débutent en 1979 au ministère des Finances auprès de René Monory, à la demande de son ami Michel Pébereau, aujourd'hui président de BNP Paribas. Ils partagent les mêmes idées libérales. Philippe Jaffré croise aussi Pierre Bilger, futur patron d'Alstom. De retour au Trésor, il met en oeuvre la déréglementation financière voulue par Pierre Bérégovoy. C'est un peu plus tard qu'il imprime vraiment sa marque sur le paysage industrialo-financier français, lorsqu'il organise les privatisations mises en oeuvre par Édouard Balladur. Déjà, il a une forte réputation. Dans les couloirs du ministère, cet homme mince, nerveux, à la silhouette d'adolescent, est surnommé « Macintosh », pour son intelligence, sa rapidité et... sa froideur.
En 1988, la direction du Trésor lui échappe au profit de Jean-Claude Trichet et la majorité politique ne lui est plus favorable. Il trouve asile à la petite banque Stern avant, trois mois plus tard, de se voir propulsé à la tête d'un poids lourd de la finance, le Crédit agricole, aux côtés d'Yves Barsalou. Il a 46 ans et détonne dans l'univers de la banque verte, ce qui ne l'empêche pas de finir par lui imposer une vaste modernisation.
En 1993, le premier ministre Édouard Balladur pense à lui pour diriger l'État dans l'État : Elf Aquitaine. Le financier se coule tant bien que mal dans la peau d'un industriel, non sans se heurter aux spécialistes de l'exploration-production.
Tantôt charmeur, tantôt cassant
Fidèle à ses habitudes, il dompte ses interlocuteurs, tantôt charmeur tantôt cassant, dans ce célèbre bureau du 45e étage de la tour Elf, que Claude Chabrol mettra plus tard en scène dans son film sur l'affaire Elf, avec Patrick Bruel dans le rôle du détonnant patron. Sortent alors tous les dossiers qui conduiront son prédécesseur, Loïc Le Floch-Prigent, en prison. Toujours intransigeant, Philippe Jaffré s'offre aussi le luxe de donner une leçon à Jean-Claude Trichet. Jugeant que la crise immobilière a été mal gérée par la banque centrale, il refuse de renflouer la banque Pallas-Stern, dont Elf est actionnaire, l'acculant à la faillite.
Mais le 5 juillet 1999, la roue tourne. Thierry Desmarets, le PDG de TotalFina, lance une OPA sur Elf. Philippe Jaffré résiste, puis finit par abdiquer. Le 29 octobre, il quitte le groupe et déclenche la première grande polémique sur les « parachutes dorés ». Il part avec plus 200 millions de francs. Loin de jouer la discrétion, il provoque. Et crée la société « Stock-option » et son site Internet qui permet de calculer ses gains ! Retourné dans l'anonymat, il en profite pour s'occuper de ses trois enfants, tout en essayant de faire décoller la banque en ligne Zebank. Mais manifestement, il s'ennuie.
Pierre Bilger lui donne alors l'occasion de faire son retour dans le monde des affaires, en l'appelant à la rescousse chez Alstom. Devenu vice-président exécutif au côté de Patrick Kron après le départ de Bilger, Philippe Jaffré est l'un des acteurs majeurs du sauvetage du groupe, qu'il négocie pied à pied avec les banquiers, avec l'aide de Nicolas Sarkozy.
Puis il prend du champ, replié en Belgique pour échapper à la rigueur du fisc français et pour écrire un roman, Le jour où la France a fait faillite. Ce serait le 24 juillet 2012, après une législature socialiste. La majorité est finalement sarkozyste. Mais la suite, cet ancien scout que son frère, le politologue Jérôme Jaffré, surnomme « Lili » ne pourra pas la voir.