Michel Proulx - juge

Le lundi 15 janv 2007

Décès de l'ex-juge Michel Proulx

Yves Boisvert

Michel Proulx, qui fut un des grands avocats criminalistes au pays avant d'être juge à la Cour d'appel pendant 15 ans, est mort hier à Montréal d'un cancer. Il avait 67 ans.

Retourné au métier d'avocat au même bureau que Lucien Bouchard (Davies) après sa retraite de la Cour, en 2004, c'est à lui que le ministre Jacques Dupuis avait confié le mandat de déterminer la somme à accorder au jeune Simon Marshall, emprisonné injustement pour des agressions sexuelles dont il était innocent.

La maladie l'a empêché de signer le rapport final, mais cet acte de réparation peut être vu comme le point final d'un long et profond engagement dans la lutte contre les injustices et les erreurs judiciaires.

L'automne dernier, le ministre de la Justice lui a remis le Prix de la justice lors d'une cérémonie privée, vu son état de santé.

Comme avocat, il a travaillé à nombre de causes retentissantes entre 1963 et 1989, de la crise d'Octobre 1970 à l'affaire des policiers qui avaient abattu par erreur des poseurs de tapis à Rock Forest en 1984, à la défense de Willy O'Bront devant la Commission d'enquête sur le crime organisé, en passant par le syndicaliste André «Dédé» Desjardins.

Il avait été un des deux procureurs de la commission Dubin, à Toronto, chargée d'enquêter sur le dopage dans le sport amateur après la disqualification de Ben Johnson. Il a été conseiller auprès de la Commission d'enquête sur les criminels de guerre au Canada, et a représenté des gens devant les commissions Cliche, Keable, MacDonald, Malouf et d'autres. En somme, il a été de toutes les grandes causes de son temps.

Éthicien du droit criminel

Mais il ne lui a pas suffi d'être un des plus fameux plaideurs de sa génération. Une des contributions majeures de Michel Proulx a été de travailler d'arrache-pied avec d'autres, dès les années 60, à donner ses lettres de noblesse à la pratique du droit criminel, souvent vu comme un lieu de compromission morale et professionnelle.

En plus d'enseigner le droit à McGill pendant 22 ans, d'avoir écrit nombre d'articles sur le domaine, il a publié en 2000 un ouvrage de 600 pages sur l'éthique en droit criminel. On peut y voir une défense et une illustration du droit criminel. Il s'y montre tel qu'on l'a connu : un fervent croyant dans le système, où chacun mérite d'être défendu par tous les moyens légaux, y compris le dernier des derniers, y compris celui dont on sait qu'il est coupable. «Si la police et la Couronne savent que toute preuve sera contestée, elles seront forcées de présenter une preuve honnête et complète, et cela, au bout du compte, ne peut que bénéficier à tous.»

En même temps, il se montrait implacable face aux glissements moraux de certains collègues complaisants et dénonçait la façon dont certains avocats ferment les yeux face à l'argent sale qu'ils reçoivent.

Comme juge, il a fait parler régulièrement, en plus de contribuer à redorer le blason d'une cour à l'époque régulièrement corrigée en Cour suprême en matière de droit criminel.

C'est lui, notamment, qui a prononcé l'acquittement pur et simple de Benoît Proulx, journaliste de Québec condamné pour meurtre par un jury en 1991. Il s'y montrait cinglant face au comportement du juge du procès et de la Couronne ce n'était pas la première fois, et ce ne serait pas la dernière.

Parmi les plus libertaires

Michel Proulx, même sur le siège, est demeuré un plaideur passionné, enflammé même, qui ne contenait pas ses indignations. Lors des audiences devant la Cour d'appel, les avocats savaient que leur cause battait de l'aile quand ils voyaient le juge Proulx se prendre la tête à deux mains comme s'il était désespéré par la bêtise humaine...

Rangé parmi les juges plus libertaires, il n'en avait pas moins donné raison au juge Fraser Martin d'avoir coupé le sifflet de Valery Fabrikant, le triple meurtrier de l'Université Concordia, en plein milieu de sa défense totalement hors d'ordre. Le droit de se défendre pleinement «ne comporte aucune licence de paralyser un procès par une interminable série de témoins et des interrogatoires sur des sujets non pertinents», écrivait-il.

Il avait créé la commotion en déclarant inconstitutionnel le système des juges municipaux à temps partiel québécois la Cour suprême avait cassé ce jugement explosif politiquement. C'est aussi celui qui a rédigé le jugement acquittant Michel Dumont, cet homme condamné à tort pour un viol.

Candidat déçu à la Cour suprême plus d'une fois, il avait été pressenti avant John Gomery pour présider la commission d'enquête sur le scandale des commandites, mais avait décliné. En 1988, il a perdu son fils François, mort subitement à 25 ans. Il confiait parfois que, pour une dernière fin de semaine avec lui, il aurait donné sa vie, et on le croyait.

Michel Proulx laisse dans le deuil sa femme Brenda, ses filles Magalie, Geneviève et Sophie, ainsi que ses belles-filles, son frère Daniel et de très nombreux amis.