Décès de Hrant Dink

Turquie

Un journaliste abattu

Un journaliste turc d'origine arménienne, Hrant Dink, a été tué vendredi matin par un homme armé tandis qu'il entrait à la rédaction de son journal, à Istanbul.

Il aurait reçu au moins deux balles dans la tête.

En soirée, le gouverneur d'Istanbul Muammer Guler, cité par l'agence de presse turque Anatolie, a indiqué que trois suspects avaient été interpellés. Selon le gouverneur, l'affaire serait sur le point d'être résolue.

Un peu plus tôt, la chaîne d'information NTV avait indiqué que la police recherchait un jeune homme entre 18 et 19 ans portant un chapeau blanc et vêtu d'une veste en jean. L'agence Anatolie affirmait de son côté que des témoins affirmaient avoir vu un homme de 25 à 30 ans prendre la fuite.

Hrant Dink, 53 ans, l'une des voix les plus influentes de la communauté arménienne, avait été poursuivi en justice à plusieurs reprises en Turquie pour avoir évoqué le massacre d'un million et demi d'Arméniens par les Turcs entre 1915 et 1917, un génocide non reconnu par son pays. Il avait reçu des menaces de mort de nationalistes qui le considéraient comme un traître.


Hrant Dink

Rédacteur en chef du journal bilingue turc-arménien Agos, M. Dink était une personnalité publique connue en Turquie. Dans un entretien à l'Associated Press, il avait pleuré en évoquant la haine que lui vouaient certains de ses compatriotes, expliquant qu'il ne pouvait pas demeurer dans un pays où l'on ne voulait pas de lui.

Depuis 2005, en vertu du code pénal du pays, un individu peut être passible de trois à dix ans de prison pour des écrits allant à l'encontre des « intérêts nationaux fondamentaux », incluant explicitement les propos évoquant le « génocide arménien ». Auparavant, défendre la réalité de ce génocide pouvait entraîner une condamnation pour atteinte à l'identité turque et insulte à la nation.

Dénonciations et manifestations

Manifestation en l'honneur du journaliste défunt

Les réactions ont été nombreuses à la suite de l'assassinat de M. Dink. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu'il s'agissait d'« une attaque contre la liberté d'expression. »

Fehmi Koru, éditorialiste du journal Yeni Safak , a déclaré que ce meurtre visait à déstabiliser la Turquie. « Sa perte est une perte pour la Turquie », a-t-il dit.

Le président français Jacques Chirac a condamné l'assassinat, estimant qu'il s'agissait d'« un acte abominable qui prive la Turquie d'une de ses voix les plus courageuses et les plus libres. »

Les États-Unis ont aussi déploré l'assassinat du journaliste turc. « C'est vraiment un tragique événement », a déclaré à la presse le porte-parole adjoint du département d'Etat, Tom Casey.

L'Arménie a elle aussi déploré le meurtre.

Reporters sans Frontières et Amnistie Internationale ont aussi condamné l'assassinat. Amnistie demande une enquête approfondie et impartiale sur le meurtre. Dans un communiqué, l'organisation de défense des droits de la personne affirme qu'il a été pris pour cible à cause de son travail et de ses prises de position en faveur de la liberté d'expression.

À Istanbul, 2000 personnes se sont rassemblées sur la principale place de la capitale pour protester contre le meurtre. « Nous sommes tous Hrant Dink, nous sommes tous Arméniens », ont scandé les manifestants. Une autre manifestation a rassemblé 700 personnes à Ankara.

Un ultime témoignage

La journaliste Julie Miville-Dechêne s'était rendue il y a peu, en Turquie, dans le cadre de notre dossier sur la laïcité. Elle a rencontré Hrant Dink, qu'elle décrit comme un homme « qui n'était pas imbu de lui-même mais qui était déterminé et surtout courageux. » Il était décidé à faire passer son message, à l'effet que le massacre d'un million d'Arméniens en 1915 par les Turcs était bel et bien un génocide. Elle ajoute que le journaliste croyait fermement en son combat puisqu'« il avait choisi de rester là [en Turquie] même s'il craignait pour sa vie. »


Hrant Dink et la journaliste Julie Miville-Dechêne

Elle soutient aussi que, malgré son discours, elle n'a pas perçu M. Dink comme un provocateur. « À la fois, il disait que c'était un génocide, à la fois il disait qu'il faut aider la Turquie à avoir des débats, à se moderniser et à promouvoir la liberté d'expression. »

Lors de leur rencontre, le journaliste avait aussi tenu des propos forts critiques sur la façon dont la laïcité se pratique en Turquie.

« Ils veulent nous faire accepter un dieu [Atatürk, fondateur de la Turquie moderne]. Et ça, c'est faux. On pourra mieux comprendre Atatürk si on le laisse comme il était. Je peux vous dire aussi que la laïcité elle-même est devenue une religion. Mais la Turquie est un pays qui mérite d'être soutenu pour faire son entrée dans l'Union européenne.

http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2007/01/19/004-journaliste-turc-meurtre.shtml